Les enfants ont regard unique sur le monde, voyant la vie à travers le
prisme charmant de l’innocence et de la tendresse.
C’est également ainsi que Martin Lafleur voyait son père. Ce n’était pas
une vision idéalisée, mais plutôt un portrait réaliste du chemin qu’ils ont
parcouru ensemble pendant plus de quatre décennies.
Pour la légende des Canadiens de Montréal Guy Lafleur, Martin était bien
plus qu’un fils : il était un partenaire d’affaires, un coéquipier et
surtout un grand ami.
Martin, qui a aujourd’hui 47 ans, vouait pour son père une admiration sans
bornes, pas seulement parce qu’il était un célèbre joueur de hockey, mais
aussi parce qu’il était un bon homme de famille pour lui, sa mère Lise et
son jeune frère Mark.
« Le joueur de hockey a toujours fait partie de nos vies, mais c’était
surtout l’être humain derrière qui était fascinant à observer. »
Guy Lafleur a joué dans la Ligue nationale de hockey pendant 17 saisons –
entre 1971 et 1991 – principalement avec les Canadiens de Montréal, mais
aussi avec les Rangers de New York et les Nordiques de Québec.
Il a remporté cinq coupes Stanley avec les Glorieux (1973, 1976, 1977, 1978
et 1979) et fut le premier joueur de la LNH à enfiler 50 buts pendant six
saisons de suite ainsi que le premier à marquer 50 buts et 100 points
pendant six saisons consécutives.
Sur la glace, Lafleur était unique. Son étoile brillait plus fort que
celles du reste de la constellation de vedettes que produisaient les
Canadiens à cette époque.
Il a électrisé les spectateurs du Forum de Montréal pendant 14 saisons
grâce à sa vitesse fulgurante et à son tir formidable, en plus d’avoir
terrorisé ses adversaires avec son coup de patin, ses habiletés offensives
et sa furtivité hors du commun.
Pendant sa carrière, le natif de Thurso a été nommé à la première équipe
d’étoiles à six reprises et a remporté trois trophées Art-Ross, deux
trophées Hart, un trophée Conn-Smythe et trois trophées Lester-B.-Pearson
(aujourd’hui le trophée Ted-Lindsay). Il a été intronisé au Temple de la
renommée du hockey en 1988 et nommé l’un des 100 meilleurs joueurs de la
LNH en 2017.
Il ne serait pas exagéré d’affirmer que Guy Lafleur était adoré par
d’innombrables amateurs de hockey partout dans le monde et respecté même
par les partisans des équipes adverses.
Mais pour son fils Martin, il n’était pas qu’un hockeyeur. Bien sûr, c’est
le hockey qui l’a rendu célèbre, mais son impact sur toutes les personnes
de son entourage dépasse le cadre du sport.
À l’extérieur de la patinoire, Lafleur était d’une générosité sans égal :
il rendait souvent visite à de jeunes patients d’hôpitaux pour enfants et a
fait don de milliers de dollars à la Fondation des Canadiens pour
l’enfance.
Même après sa retraite, sa popularité n’a jamais décliné, particulièrement
au Québec, où il était vénéré. Selon Martin, les partisans demandaient
souvent à son père de leur signer un autographe ou de se faire prendre en
photo avec lui, et il ne refusait jamais.
« Il était près des gens », se rappelle Martin, qui possède et gère Dello,
une entreprise montréalaise spécialisée dans le traitement des paiements
par cryptomonnaie.
« Même s’il a connu une carrière extraordinaire et qu’il était au sommet de
son art, il a toujours été quelqu’un de terre à terre qui accordait toute
son attention à son interlocuteur. »
Lafleur était si populaire et charismatique sur la glace et à l’extérieur
qu’on lui a donné non pas un, mais deux surnoms pendant sa carrière.
Le premier, « Flower », est une traduction littérale de son nom de famille,
mais aussi une illustration de sa présence rayonnante comme hockeyeur et
comme être humain.
Le deuxième, « Le démon blond », évoque une image dont bon nombre d’entre
nous se souviennent : celle d’un Guy Lafleur, sans casque, qui file à toute
allure sur l’aile droite, chevelure au vent.
Les deux sobriquets étaient souvent utilisés, mais pas par les mêmes
personnes. C’étaient surtout ses amis proches et ses coéquipiers qui
l’appelaient « Flower ». « Le Démon blond » – celui que Martin préfère –
était plutôt donné par les partisans.
Né en 1975, au faîte de la riche carrière de son père, Martin, qui est
maintenant lui aussi marié et parent, a toujours bien compris ce que son
paternel signifiait pour le hockey, les Canadiens et les partisans, mais
n’avait jamais pleinement pris la mesure de son importance avant le service
commémoratif public tenu pour lui au Centre Bell le printemps dernier.
Guy Lafleur est décédé le 22 avril, à l’âge de 70 ans.
« J’ai constaté la tristesse des gens, admet Martin Lafleur. C’est alors
que j’ai réalisé l’impact de l’être humain et à quel point il avait touché
les gens.
« On ne me racontait pas des souvenirs reliés au hockey, mais des histoires
personnelles. C’est ce qui m’a vraiment épaté, et ce n’est malheureusement
qu’avec sa mort que je l’ai entièrement saisi. »
L’un des témoignages qui illustrent bien l’influence de Guy Lafleur à
l’extérieur de la patinoire a été livré par un père de famille qui admirait
le premier choix au total de 1971.
Martin explique que l’homme a été inspiré par la façon dont Lafleur a
soutenu son plus jeune fils Mark, qui pendant 10 ans a souvent eu des
démêlés avec la justice.
Faisant passer sa famille avant tout, Lafleur a toujours été aux côtés de
son fils lors des procédures judiciaires, allant même jusqu’à contourner
lui-même la loi pour l’aider.
Martin a prononcé une partie de l’oraison funèbre lors de la cérémonie
célébrant la vie de son père. Il y a décrit brièvement, mais avec émotion
et sincérité, l’impact qu’a eu Guy Lafleur sur le monde.
Ce discours éloquent était probablement un précurseur à celui que livrera
Martin lorsqu’il acceptera au nom de son père l’Ordre du hockey au Canada
ce mois-ci.
On soulignera sa contribution remarquable au hockey – et celle de deux
autres personnalités honorées – lors du Gala et tournoi de golf de la
Fondation Hockey Canada 2022 à Niagara Falls, en Ontario.
Bien qu’il s’agisse d’une reconnaissance posthume, Guy Lafleur a su qu’il
allait recevoir cette prestigieuse distinction avant sa mort. Selon Martin,
il en était très touché et honoré.
« Nous sommes très attachés à notre province et à notre pays,
explique-t-il. C’est un immense honneur pour notre famille et nous sommes
plus que reconnaissants de recevoir cet honneur en son nom. »
L’Ordre du hockey au Canada et les moments qui précéderont sa présentation
officielle remueront bien des souvenirs chez la famille Lafleur, et surtout
chez Martin.
Depuis sa jeune enfance – alors que les Canadiens ont remporté quatre
coupes Stanley consécutives entre 1976 et 1979 – à la fin de la carrière de
son père en 1991, il a passé beaucoup de temps dans les arénas, notamment
au Forum de Montréal, au Madison Square Garden de New York et au Colisée de
Québec, alors que Guy évoluait respectivement pour les Canadiens, les
Rangers et les Nordiques.
Bien sûr, il regardait son père des gradins, mais il a souvent foulé les
patinoires, côtoyant d’autres joueurs du Tricolore et leurs enfants et
patinant avec eux avant ou après les entraînements. Il a également
participé à des tournois de golf de l’équipe et a joué avec les Anciens
Canadiens.
Ces interactions pendant son enfance compensaient un peu les absences de
son père, le calendrier de la LNH faisant en sorte que les périodes à la
maison des joueurs sont courtes pendant la saison.
« Pendant bien des années, je l’ai plus souvent vu à la télé qu’en
personne, raconte Martin. Ce n’est qu’après sa carrière que j’ai vraiment
pu passer du temps avec lui. J’ai eu de très bons moments pendant mon
enfance, mais j’en ai eu encore plus quand il a accroché ses patins.
C’était très important pour moi. »
Le hockey comptait beaucoup pour Guy Lafleur et sa famille, mais il n’était
pas essentiel que les enfants suivent les traces de leur père. Évidemment,
Martin a joué et joue toujours, mais il est plus passionné d’autres sports
comme la planche à neige et le soccer.
« Les sports ont toujours fait partie intégrante de ma vie, mais le hockey
n’en était qu’un parmi d’autres. Mon père ne nous a jamais mis de pression.
Il voulait que nous nous amusions, peu importe ce que nous choisissions. »
Martin mentionne que son père était avare de conseils lorsqu’il jouait au
hockey mineur et précise en rigolant qu’il était un entraîneur horrible.
Par contre, il soutient qu’il a beaucoup aimé jouer aux côtés de son père
lors d’événements des Anciens Canadiens, même
si celui-ci n’hésitait pas à souligner les erreurs de son fils.
Du moment où il a pris sa retraite jusqu’à son dernier souffle, Guy Lafleur
était un homme occupé.
Martin et lui brassaient des affaires ensemble, ayant notamment été
propriétaires de plusieurs restaurants. Au cours de la dernière décennie,
Martin était en quelque sorte l’agent de son père, organisant ses
déplacements et l’accompagnant à des événements comme des salons pour
collectionneurs de cartes et de souvenirs.
« Nous étions très proches. Je suis extrêmement reconnaissant d’avoir pu
passer tout ce temps de qualité avec lui. »
Guy Lafleur était aussi un grand patriote. Il était colonel honoraire de
l’Aviation royale canadienne et a rendu visite plusieurs fois aux troupes
en poste à l’étranger, par exemple au Koweït, en Afghanistan et en Ukraine.
Il a également représenté son pays à la Coupe Canada, en 1976 et 1981,
ainsi qu’au Championnat mondial 1981 de l’IIHF.
Parmi les autres distinctions et prix qui lui ont été conférés, soulignons
le titre d’Officier de l’Ordre du Canada et celui de Chevalier de l’Ordre
national du Québec.
« Ce fut un immense honneur pour lui de recevoir ces deux décorations,
explique Martin. Il était Canadien français, mais il était vraiment fier
d’être Canadien. »
Guy Lafleur laisse un héritage imposant, mais Martin tentera de se
comporter adéquatement et de modeler son parcours sur celui de son père.
« Ses souliers sont impossibles à remplir, mais je ferai tout ce que je
peux pour continuer d’honorer l’héritage de mon père à ma façon. C’est
ainsi que nous avons été élevés. Encore aujourd’hui, nous devons tout aux
admirateurs de mon père. Je continuerai de saluer sa mémoire avec plaisir.
»